J’ai avalé mon histoire comme j’ai mangé la tienne, Poète, Sculpteur ou Peintre d’éternité au présent… Quel repas, dis-tu, avons-nous partagé ? À quand, et avec qui , le prochain ? On verra... On lira ... | Marie-Thérèse PEYRIN - Janvier 2015

Olga MARIN-VEIT

Elle me (re)dit : "J'ai du mal avec les maisons..."

 

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Photo M T Peyrin 2012 

Sortie Arrière de Bâtiment Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation -Lyon 7°|

 

 

 

 

Pour Olga Marin-Veit et Jérémy Liron

 

 

Ce qu'elle me dit résonne dans ma mémoire récente, et tout se relie naturellement à la place que tiennent précisément les maisons successives dans ma vie de femme et celles des femmes qui m'ont précédée. J'ai toujours fait des rêves de maison et des cauchemars d'exode. Je sais de quoi elle parle lorsqu'elle évoque l'impossibilité de trouver la sécurité autour du corps empêché de résidence et de calme, le contraire de l'impression de folie au logis. Réfléchir à cela, et aux conséquences. La première maison, c'est le corps, banalité de le rappeler, et pourtant. Le corps est la maison qui se construit, qui rutile parfois et qui se délabre inexorablement. Maison que l'on viole depuis la nuit des temps et qui tente d'échapper à cette fatalité qui n'en est pas une si on réfléchissait bien. La première préoccupation animale est de trouver l'abri sécure , avant même d'aller quêter la nourriture. Nous sommes toutes des  Poupées Russes "infatigables"... mais parfois découragées...

 

Plaisir pourtant ce matin, à relier ces pensées à celles de Jérémy Liron dans son Journal de Résidence qui commence. Il se demande comment investir le creux d'un lieu avec son propre sentiment de creux pourtant débordant de possibilités créatives. Le lieu est d'abord inconnu et inquiétant mais profondément attractif car il implique une montée des pensées constructives dans un espace réel à construire. Où seront les murs porteurs, les passages, les alcôves, les zones de respiration, les secrets de charpente d'une oeuvre à venir. Les plans d'occupation du ciel et de l'horizon collectif ne sont pas encore lisibles. Il faut s'asseoir par terre, sur un rebord d'escalier ou dans un coin non repéré de tous pour fabriquer les lignes de fuite, le fil à plomb, le regard du géomètre qui sait à l'avance que cet endroit ne peut être conçu que pour des silhouettes de passage dont le silence final n'est pas le moindre des défis. Parler dans l'espace, parler dans son propre espace mental est le premier devoir d'un peintre ou d'un sculpteur. Parler à partir de la contemplation et de la suspension très provisoire du geste. S'immerger dans le déjà su qui s'oublie au fur et à mesure pour entrer dans l'eau secouée de particules d'inconnu. Réapprendre à savoir où ça commence, où ça s'arrête, où ça oblige à entrer ou à quitter, et ce qu'il en reste pour "ceux qui après nous viendront"... Penser l'espace dans les intervalles de doigts découpant la vision, procéder par cadres successifs, juxtaposés, superposés, recomposés, labiles, et saisir les plans dans toutes les positions pour en retourner les logiques de fond en comble, éviter le tournis, colmater les fissures, caler les portes et les fenêtres, blanchir pour agrandir, noircir pour révéler. Habiter la lumière rasante et chaque trajectoire de poussière avec tendresse et détachement. Savourer la beauté d'une ligne brisée ou d'un contour de ruines espérantes. Prendre le parpaing pour ce qu'il est :  un poste de guet où s'asseoir et renifler, pour crayonner en attendant la toile et les parois mobiles. Chaque geste comptant, sans décompter le temps de façon mécanique. Etre là pour organiser la présence sans préjuger de son intensité et de ses limites. Etre le chien actif de Giacometti dans toute son endurance avec son flair philosophe et  propulsant. Marquer le territoire sans y croire éternellement. Sourire en repartant. Bouger juste.